Quand la Chine vendangera… (5/5)
Défis techniques, juridiques et écologiques
Variété des sols et des climats, puissance d’investissement et volonté collective : les fondamentaux semblent en place pour un développement majeur de la viticulture en Chine. Il ne faudrait pas en oublier pour autant les défis majeurs que la filière doit encore surmonter.
Le retard accumulé est bien entendu le premier. Formation des viticulteurs, des acheteurs professionnels et des consommateurs, import des plants, préparation des terres, croissance des plants : tout est à faire ou presque, puisque la filière démarrait pratiquement de zéro il y a une quarantaine d’années. En matière végétale, l’argent ne peut pas tout… Et la qualité n’est pas encore là ! Comme l’a franchement reconnu la PDG du leader actuel Cofco, Ning Gaoning, à l’heure actuelle les vins chinois ne sont pas « pas terribles » (lien dans la langue de Parker).
La profusion d’expériences en cours se déroule dans un cadre très inégal, où le pire côtoie le meilleur. On reste généralement très loin des critères qualitatifs internationaux : à ce stade, les rares distinctions obtenues, comme celle du « meilleur bordeaux international » du magazine Decanter, emportée par le Jia Bei Lan Cabernet, suscitent elles-mêmes de vives controverses. Certains observateurs notent encore un manque d’intérêt pour le produit, y compris parmi les producteurs, qui voient surtout le raisin comme une source de revenu au poids, et ne lui prêtent pas l’importance culturelle qu’il revêt généralement aux yeux des producteurs du Vieux monde.
La consommation elle-même n’est pas acquise : l’année dernière, elle s’est d’ailleurs tassée, et comme le remarque l’OIV, l’équilibre entre production et consommation reste à ce stade un point d’incertitude. Bien que le vin paraisse aujourd’hui plus désirable que jamais pour les classes dirigeantes chinoises qui donnent le ton au reste du pays, on ne peut pas exclure que la mode s’atténue, comme l’histoire impériale en donne plusieurs exemples. Le rendez-vous de la Chine et du vin n’est pas encore acquis.
Quant au marché international, le jour où les vins chinois présenteront toutes les qualités gustatives requises, deux lourdes hypothèques devront encore avoir été levées avant qu’ils n’entrent en première division.
La question de la confiance, tout d’abord. Pour parler clairement, comment un pays où le droit des marques semble inexistant – ou pour le moins totalement inopérant – peut-il s’imposer comme acteur crédible sur un marché de biens d’expérience comme le vin, où l’asymétrie d’information est maximale entre le client et le vendeur ? Les vignobles traditionnels comme la France ou l’Italie ont mis des décennies à construire un système de régulation, capable de créer dans le domaine du vin le climat de confiance et de connaissance nécessaire pour un marché qui ne soit pas simplement local. Ce défi n’est pas tellement technique, mais d’abord politique et réglementaire. L’État chinois est parvenu ces dernières années à des résultats économiques autrement plus impressionnants, on en conviendra. Il n’en reste pas moins que les amateurs de vin du monde entier ne miseront sans doute pas grand-chose sur les vins chinois – au-delà de la simple curiosité – tant que cette question restera pour l’instant en suspens.
Enfin, demeure la question de la pollution industrielle. Quelle que soit l’échéance, on imagine mal les vignerons chinois en mesure d’amener leur gouvernement à revoir toute sa stratégie de croissance, qui à ce stade repose prioritairement sur des industries lourdes et moyennes, dévastatrices en matière de dispersion large de produits toxiques, et gagnant progressivement vers l’ensemble du pays. Les vins chinois pourront pourtant difficilement esquiver le problème à l’export, tant en termes de produit que d’image de marque, à l’heure où l’exigence bio tend à se banaliser sur la planète vin – et plutôt par le haut des marchés, du reste. Dès aujourd’hui, rares sont les régions chinoises qui sont encore en mesure de rassurer sur ce point. D’ici à ce que l’écologie ne gagne l’Empire du milieu, ses premières belles vendanges viendront sans doute de l’Ouest…