Quand la Chine vendangera… (3/5)
Le vin et la Chine : une histoire ancienne mais plutôt légère
Il faut d’ailleurs rappeler qu’à l’aune de l’histoire et de la culture chinoises, le vin reste une curiosité. Les choses avaient pourtant bien commencé : comme l’écriture, l’alcool fut inventé à peu près en même temps en Chine et au Moyen-Orient. Des fouilles récentes dans la vallée du Fleuve Jaune (Henan) attestent d’une boisson fermentée de riz, de miel et de fruits, dont du raisin, environ 7000 ans avant notre ère. Depuis, le riz a incontestablement remporté la partie, ce qui fait dire à la sinologue Flora Blanchon qu’avec les Slaves et les Anglo-saxons, « la Chine appartient au monde des consommateurs d’alcool de grains ».
Au pays du thé et de l’eau-de-vie (baijiu), le raisin lui-même est finalement resté périphérique. Dans les traditions, on ne le retrouve guère que dans les régions musulmanes de l’Ouest, où les Ouïghours, depuis près de mille ans, le cultivent sur pergolas. Encore ne s’agit-il pas de vin, islam oblige, mais de raisin de table et notamment de raisins secs. Si le vin connut épisodiquement certains épisodes de faveur impériale, ils n’eurent guère de postérité.
A la fin du XIXème siècle, les missionnaires occidentaux essaient à leur tour d’introduire la viticulture, au moins pour le vin de messe. Les résultats de ces tentatives demeureront toutefois très modestes, en quantité comme en qualité. C’est en fait avec la période du partenariat soviétique que les classes dirigeantes chinoises développent un goût pour le vin, qu’elles reçoivent alors d’Europe de l’Est. Dans le cadre des plans de développement, dans les années 1950, une véritable filière viticole démarre enfin, notamment près de Pékin (au Hebei). Se dessine dès cette époque l’idéal-type du vin chinois : un rouge très sucré (l’heureux vigneron chinois ignore les scrupules de la chaptalisation…), coupé à 30 voire 40 % de vins étrangers importés en vrac, fréquemment de Roumanie ou de Bulgarie, et qu’on boit généralement mélangé à de la limonade ou d’autres sodas. L’aromatisation à outrance est sa marque de fabrique : si vous trouvez votre bouteille fruitée ou épicée, le plus probable est tout bonnement que le vinificateur a mis des fruits ou des épices dedans…
Longtemps réservés à une étroite élite, avec l’ouverture des années 1980 et la période de croissance, ces vins se sont « démocratisés », sans mauvais jeu de mot, vers les classes urbaines aisées. Le vin symbolise la distinction et la modernité culturelle à laquelle ces nouvelles classes prétendent : d’un verre, il a la vertu de vous détacher de la plèbe des amateurs de baijiu. Ce segment du marché correspond grosso modo aux vins chinois, soit aujourd’hui 80 % du marché intérieur. Les cadres du régime montent aussi en gamme : en ce qui les concerne, ils reviendraient à l’eau plate plutôt que de boire du vin chinois. Actuellement, les maîtres de l’atelier du monde ne jurent plus que par les champagnes et grands crus français. Dans cette heureuse ascension des sens, l’unique facteur de tempérance paraît provenir de la politique anti-corruption : depuis 2013, en particulier, elle réduit fortement la performance des bordeaux et cognacs – c’est en tout cas ce que constate le Comité interprofessionnel des vins de Bordeaux (CIVB), ce qui place sans conteste la ville de Montesquieu dans une posture d’observation bien différente des Lettres persanes…