Quand la Chine vendangera… (2/5)
(… sur le communiqué d’avril de l’OIV)
L’expansion spectaculaire des vignes chinoises s’inscrit dans une légère croissance du vignoble mondial – une somme trompeuse qui cache surtout d’importantes mutations. C’est un rééquilibrage qui est en cours : l’Europe vient de réguler ses surfaces de manière assez drastique jusqu’en 2011. De vieilles terres de viticulture, telle l’Italie ou le Portugal, ont persévéré – il est vrai qu’elles partaient de haut. La qualité des vins du vieux monde y gagne, si l’on en juge par exemple sur la hausse du prix moyen portugais sur cette période.
Dans le même temps, ces arrachages sont compensés par un mouvement de plantation aux nouvelles frontières de la planète vin : l’Amérique latine, et donc surtout la Chine. Ce mouvement participe d’une internationalisation croissante du marché du vin : Jean-Marie Aurand, remarque ainsi qu’en 10 ans, la part des vins importés dans le monde – élaborés dans un pays et bus dans un autre – est passée de 25 à 43 %. Nous nous situons donc déjà au mitan d’une transition qui aura été très rapide : la chute des cloisons nationales dans la consommation, et partant dans les goûts et les connaissances en matière de vin, qui séparaient jusqu’ici les différents vignobles en autant de marchés. Si la planète vin n’a jamais été aussi homogène, on notera cependant qu’elle reste relativement concentrée, puisque 5 pays boivent à eux-seuls la moitié du vin mondial : les Etats-Unis, puis la France, l’Italie, l’Allemagne, et enfin la Chine – une cinquième position qui est honorable, certes, mais sûrement pas hégémonique.
Reste la tendance chinoise sur la surface plantée, une tendance dont on ne peut nier qu’elle est plus que dynamique :
Evolution des surfaces viticoles dans le monde depuis l’an 2000 (source : OIV)
Encore faut-il savoir de quelles vignes on parle ! C’est la Revue du vin de France qu’il faut parcourir pour découvrir les précisions pour le moins utiles de Jean-Marie Aurand à ce propos, puisque « la destination finale du raisin récolté reste à préciser entre vins, raisins secs, raisins de table ». À l’échelle du marché chinois, ce genre de nuance devient de taille à expliquer des écarts tout à fait étrangers à la planète vin. Certes, le profil d’encépagement de ces nouveaux plants suggère plutôt un projet de vin (cabernet, merlot, syrah…), mais s’agissant de vignes aussi jeunes, elles ne seront guère actives avant cinq ans.
Et surtout, le véritable étalon pour juger de la position d’un pays producteur, ce n’est sûrement pas la superficie de ses vignes plantées, ni même leur poids de production, mais seulement l’attrait dont sa production dispose sur le marché mondial – autrement dit, son volume en valeur dans les exportations. Pour ce qui est du présent chinois, ce critère remet les choses en perspective : le marché international du vin, dont on a vu qu’il tendait à devenir le mode dominant d’échange, pesait en 2014 26 milliards d’euros. Avec 7,7 milliards d’export, la France en pèse à elle seule un tiers. Malgré ses surfaces mirifiques, l’Espagne tombe à 2,5 milliards, l’Italie tenant la seconde place avec 5 milliards. La Chine est encore loin, très loin de ce podium, puisque ses exportations oscillent d’une année sur l’autre entre 20 et 50 millions d’euros. Encore s’agit-il en grande partie de « faux » exports, puisqu’ils servent en fait en grande partie les régions administratives spéciales de Hong Kong et Macao – où ce vin est d’ailleurs probablement souvent dégusté par des touristes chinois venus du continent !
La question n’est donc pas tellement de savoir si la Chine compte aujourd’hui dans le monde du vin – à ce stade, son vin n’a quasi aucune valeur sur le marché international –, mais plutôt la place à laquelle elle peut prétendre d’ici, mettons, une génération.